
L'Incinérateur de cadavres
230 pages
Date de publication : 30/5/2004
ISBN : 2-9700444-1-2
Prix : 18.00 €
Père de famille modèle, monsieur Kopfrkingl est un homme de progrès et un employé zélé du crématorium de Prague. Un homme bien sous tous rapports. Mais il se laisse gagner par les idées nazies de son ami Willy. Il hausse alors l’incinération au rang d’un sacerdoce universel, d’un devoir de charité qu’il n’hésite pas à mettre en pratique dans son entourage le plus proche et cette conviction justifie à ses yeux les actes les plus vils.
L’Incinérateur de cadavres est un livre tout à fait inclassable, insolite et grinçant, qui explore les pires équivoques de la civilisation moderne. Il a été traduit dans de nombreuses langues mais jamais encore en français. L’Engouletemps le publie dans une traduction très sensible au style de l’auteur et aux ambiguïtés du texte.
L’Incinérateur de cadavres a été magistralement adapté au cinéma en 1968 par Juraj Herz. Le film a été interdit par les autorités communistes lors de l’invasion russe. Il a connu une nouvelle naissance en 1989 et il est devenu ces dernières années un film culte dans certains cinémas d’art et essai, notamment à l’Accatone qui exposa même des objets du tournage.
« Dans le cinquième cercueil, on incinère aujourd’hui madame Strunná, » dit-il et il fit signe à monsieur Dvorák de s’approcher.
Dans le cercueil gisait une femme incommensurablement belle.
« Je l’ai déjà vue hier, » dit monsieur Kopfrkingl en baissant un peu les yeux, tandis que monsieur Dvorák en retrait derrière lui, effroyablement pâle, plongeait son regard dans le cercueil. « Elle n’a pas le visage défraîchi ni le nez et les tempes décharnés, comme il est courant chez les cadavres quand la main de la mort les touche et qu’ils sont étiques. Oui, monsieur Dvorák, étiques, confirma monsieur Kopfrkingl, l’étisie est la conséquence de la mort. Son teint n’est pas cireux non plus comme les statues du Panopticum, » dit monsieur Kopfrkingl en le montrant du doigt, à distance, et son alliance brilla sur sa main. « Son teint est frais et ses yeux légèrement fermés, comme si elle dormait. Comme si elle allait se réveiller et se lever. »
« Vous vous imaginez peut-être qu’elle n’est pas si morte que ça, reprit monsieur Kopfrkingl au bout d’un moment en voyant le regard fixe de monsieur Dvorák. Ce serait une mauvaise pensée, monsieur Dvorák. Cette femme a été déclarée morte et dans ce cas, il est de notre devoir de l’incinérer après la cérémonie. La déclaration de décès est l’acte administratif le plus responsable, mais aussi le plus noble, qui se décrète en ce monde. C’est un acte décisif et nous remplissons ici nos obligations avec exactitude. Donc vous avez vu, monsieur Dvorák, tous nos mécanismes et nos automatismes et c’est tout pour le moment, monsieur Dvorák. »
À dix heures, alors que les funérailles de madame Strunná commençaient, monsieur Kopfrkingl dit à monsieur Dvorák qui fumait encore :
« Cette femme a été déclarée morte, voilà ce qui compte. Ça vaut pratiquement loi, les lois sont faites pour servir les gens et nous devons les respecter… Mais ne craignez rien, monsieur Dvorák, sourit monsieur Kopfrkingl, madame Strunná est vraiment morte, de telles erreurs n’ont plus lieu aujourd’hui. »
