
Voyage en Terre promise
144 pages
Date de publication : 15/10/2005
ISBN : 2-9700444-5-5
Prix : 12.00 €
Quelques bourgeois juifs de Vienne et un rabbin fuient le IIIe Reich à bord d’un bac et descendent le Danube. Leur cohabitation, faite de bribes de conversation mondaine et de citations de l’Ancien Testament, révèle les clivages entre une conception matérialiste du monde vouée à l’échec et la tradition religieuse du rabbin, qui est avide d’interprétation, mais reste énigmatique sur ses intentions. Ballotés par le fleuve, livrés aux éléments de la nature, ces passagers de l’Histoire n’ont aucune prise sur leur surprenante destinée et leur lente progression est inéluctablement une descente aux enfers.
Voyage en Terre promise est une vision allégorique de l’holocauste , écrite sur la proposition d’un ami de l’auteur, le réalisateur slovaque Martin Holly (l’histoire se situe principalement dans les forêts paludiques de Slovaquie). On y retrouve le style particulier de Ladislav Fuks, tissé d’humour noir et d’emphase.
Ils étaient arrivés à l'aube au bord du fleuve, avec leurs valises et leurs sacs, et ils semblaient un peu dépités. Qu’ils ne partiraient pas sur un vapeur de luxe, ils le savaient déjà depuis une semaine, depuis qu’on avait avisé monsieur Seidler, ancien maître d’escrime, d’apprendre à piloter un moteur de canot. Mais là, devant eux, baigné par les vagues de la rivière dans la lumière de ce matin d’été, c’était tout bonnement un bac à fond plat.
À l’arrière un moteur et quelques rames, une bâche tendue sur une armature en métal, un banc, des transats et des caissons vides, au centre une cabane, des jerricans d’eau et d’essence, et à l’avant sur une hampe, le drapeau frappé d’une croix gammée.
« Notre bateau n’est pas encore là, et pourtant il devrait, dit un homme vêtu d’un costume d’été à carreaux dans la poche duquel était gaillardement enfoncé un mouchoir. Il est temps. »
« Il est temps, approuva un fin vieillard en regardant sa montre, demandons à ces messieurs. »
« Votre bateau est là, – dit un officier qui venait d’arriver sur la berge, et il montrait le bac. »
Un sinistre silence s’abattit alors sur la berge.
« Nous avons tenu compte du fait, dit l’officier en souriant, que votre voyage durera une semaine et qu’avec un peu de modestie, vous arriverez à bon port. C’est la seule option que nous pouvons vous offrir. »
« Commandant, dit alors le fin vieillard, vous n’y pensez sans doute pas sérieusement. Nous ne pouvons pas partir sur ce bateau pour un si long voyage. »
« J’ai bien peur que si, dit l’officier en souriant. Rappelez-vous qu’une guerre avec la Pologne nous menace à l’est. »
« Alors, nous aurions dû partir en train, dit l’homme en costume à carreaux d’un air indigné. Et c’est pour ça que nous vous avons cédé tous nos biens. »
« Non pas tous, dit l’officier en souriant, vous avez des bagages et nous ne contrôlons pas leur contenu. N’oubliez pas que vous n’avez aucun visa de transit et que vous pouvez seulement suivre le fleuve. Le bateau ne peut aborder nulle part ! Si vous naviguiez en territoire du Reich, messieurs, cela serait différent, dit en souriant l’officier. Vous n’auriez même pas besoin de visa. Donc arrivés en Mer Noire, dit l’officier d’une voix soudain plus pointue, un navire anglais vous mènera jusqu’à Istanbul et ensuite, vous irez où bon vous semble. Si cela déplaît à l’un d’entre vous, personne ne l’oblige à partir. Cinq autres sont prêts à prendre sa place. Et maintenant, dit-il en scrutant des yeux le soleil levant, maintenant s’il vous plaît, nous allons contrôler vos identités pour la dernière fois. Préparez votre carte d’émigration et avancez à votre nom... »
